Vendeur exclusif d’un pistolet révolutionnaire, la société Taser est en passe de remporter un gros marché avec le gouvernement français. Depuis quelques mois, le Taser X26 est à l’essai en France. Son originalité : le dernier né des armes dites non-léthales projette une violente décharge électrique paralysante. Nouvelle gégène ou pistolet du futur ?
Trois bimbos moulées dans le cuir façon Trinity dans Matrix, armées chacune d’un énorme flingue style Tom Cruise dans Minority report… La page d’accueil du site internet Taser France annonce la couleur : le Taser X26 sera l’arme du futur. Sorte de gros pistolet en plastique jaune et noir, le lanceur projette deux aiguilles de 5 cm de long reliées à des fils libérant une décharge électrique de 50 000 volts au contact d’une cible placée à moins de six mètres. Le corps de la victime est parcouru pendant cinq secondes par près de 80 ondes électriques d’1,5 milliampères. Autant dire que l’effet est immédiat. Les informations transmises entre le cerveau et les membres sont instantanément bloquées. La personne touchée perd le contrôle de son corps et s’écroule comme un pantin dont on aurait soudainement coupé les fils. “L’objectif, précise Antoine Di Zazzo, le directeur général de Taser France, est d’interférer sur cette fameuse onde T qu’utilise le cerveau pour commander le corps.” Les muscles se contractent violemment provoquant “une douleur musculaire qui fait vraiment très mal”, reconnaît-il pour l’avoir lui-même testé tout en assurant qu’il n’existe aucun danger.
Le pistolet qui touche au coeur
Les différents médecins contactés au cours de l’enquête sont pourtant sceptiques quant à l’innocuité de l’arme. De nombreux paramètres entrent en jeu. Le voltage bien sûr, mais aussi l’intensité de l’électricité, la fréquence du courant et surtout la localisation de l’impact. “L’onde T correspond à la phase de repolarisation cardiaque”, précise un cardiologue surpris d’apprendre que le Taser provoque une contraction musculaire générale. En principe, seuls les muscles situés à proximité du choc électrique se contractent. “Pour que l’individu subisse une contraction musculaire générale, il faut tout de même qu’il reçoive une sacré chataigne !”, s’inquiète un autre spécialiste en électromyographie, rappelant que le coeur est aussi un muscle…
“Je ne prendrai pas le moindre risque en mettant en évaluation un dispositif dont je pense qu’il est dangereux”, assure le commissaire divisionnaire Fichot, sans promettre pour autant le risque zéro. Christian Fichot est chef du centre de recherche et d’études de la logistique de la police nationale. C’est un peu le Docteur Q dans les films de James Bond, celui qui invente les gadgets et les nouvelles armes qui équiperont peut-être un jour les policiers et les gendarmes français. “Nous avons mis le Taser X26 en évaluation depuis quelques mois dans les GIPN, les GIGN, le RAID ou encore la BAC 93″, précise-t-il en insistant bien sur le caractère expérimental de sa mission. Il préfère rester prudent. La précédente génération, le Taser M26, avait déjà fait l’objet d’une expérimentation qui s’était soldée par un refus de l’Etat français sans doute inspiré par l’expérience américaine. L’an dernier au Canada, à l’occasion d’un rassemblement de sans-papiers, plusieurs manifestants ont souffert de brûlures consécutives à l’usage du M26 par la gendarmerie royale de Montréal.
“Les versions précédentes avaient des problèmes qui méritaient d’être améliorés” constate effectivement le commissaire Fichot qui commence à recueillir les premiers résultats sur le X26. Sur un peu plus d’une quarantaine d’exemplaires en circulation, le nouveau Taser a déjà été utilisé 25 fois en conditions réelles. En toute discrétion. Outre la neutralisation d’une militante du FLNC qui menaçait de faire exploser la prison des Baumettes à Marseille, les policiers se sont également servi du Taser pour arrêter “ni vus ni connus”, au milieu de la foule, un manifestant qui s’apprêtait à prendre la parole lors du meeting politique de Nicolas Sarkozy et Bernadette Chirac à Saint-Malo le 26 mars dernier. Electrisé dans le dos, l’homme s’est aussitôt effondré avant d’être embarqué incognito par les forces de l’ordre. Efficace sans doute, plus problématique certainement sur le plan des libertés individuelles.
Des foudres de guerre
Aux Etats-Unis plusieurs milliers de Taser équipent déjà la police, et l’armée en utilise en Irak. Si le nombre de bavures a considérablement chuté, il n’en reste pas moins que certaines associations comme Amnesty International ou l’Union Américaine des Libertés Civiques dénoncent des dérapages liés à un usage abusif de cette nouvelle arme, parfois de manière délibérée. Le commissaire le concède : “On a tort d’opposer les armes léthales et non léthales; même un baton de défense mal employé sur une personne particulièrement vulnérable peut avoir de lourdes conséquences.” Tout est question de comportement. Le PDG de Taser France préfère insister sur l’intérêt d’une arme qui pourrait selon lui épargner 5000 blessés par an : “Au lieu de hurler qu’il faut désarmer le monde, le Taser est peut-être une voie plus intelligente. En France, il y a déjà trois vies épargnées car sans le Taser les forces de l’ordre auraient sans doute tiré avec un pistolet classique.” Vu sous cet angle, l’argument est imparable. Mais lors du meeting de Bernadette Chirac, les policiers auraient-ils vraiment tiré contre un manifestant ?